Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le monde est une fleur
Publicité
Archives
Newsletter
11 septembre 2012

Celle qui fermait les yeux au théâtre

rideau

Samedi dernier, Gabuzhom et sa charmante épouse, moi, étaient invités à une soirée doublement spéciale : il était question d'une représentation théâtrale chez l'habitant (petit un) dans le noir (petit deux).

"Moui, moui, moui ...", me dis-je en entendant l'invitation. Je me pressai néanmoins d'accepter celle-ci, car ce n'est pas tous les jours qu'une telle occasion se présente. Mais bon, je dois dire que je me suis rendue sur place avec un certain nombre de questions et, avouons-le, d'aprioris.

Pourquoi ?

D'abord, laisse-moi te dire, mon fan, que j'aime, non, j'adore le théâtre. Et d'ailleurs, c'est un rituel, je m'empresse d'aller voir une pièce à chaque Saint Glinglin. Cependant je n'adhère pas toujours à ce que les théâtreux en font. Et connaître l'un des deux acteurs (dans la vie non théâtrale, j'entends ; je l'ai vu quelques fois à droite à gauche ; je l'aime bien, mais je me demandais comment il était sur scène) n'a pas calmé mes réticences. Saches, mon fan, que malgré l'universalité de mes goûts et désirs, venant du fait que, comme chacun le sait, je suis un peu la femme de Vitruve du bon goût, ces gens-là n'ont pas forcément le même dosage que moi entre le sur-jeu et le sous-jeu, et ne collent pas toujours pilepoil au style qui me fera adhérer à la pièce.
D'ailleurs, de mon temps, je suis moi-même montée sur les planches. Juste une saison mais tout de même. Si le metteur en scène avait des idées très originales, il n'était pas assez directif à mon goût, et tout partait un peu trop en live. Arrêt de carrière gabuzienne, donc. Tous les ans, à la même époque ma lâcheté m'offre un prétexte pour ne pas retenter la chose autre part (cette année, ça sera le changement probable de traitement médical et ses suites imprévisibles, et -- de loin le meilleur prétexte -- le besoin de ma fille à avoir toujours sa mère à portée de cri, conjugué à l'incapacité bien connue de Gabuzhom de mettre sa progéniture au lit en respectant correctement l'angle idéal entre le montant du matelas et l'inclinaison de ses jambes).

Ensuite, le noir.
Qu'est-ce que ça allait être que cette idée ? Le noir serait-il un acteur à part entière ? Nous n'avions eu aucune indication sur le déroulement de la soirée.
Il faut savoir que je ne suis pas une fille à papouilles. L'idée de me faire tripoter quelque partie du corps que ce soit (coude, gros orteil, nez ...) sans y avoir explicitement invité le tripoteur m'est ma foi assez désagréable, a fortiori quand je ne m'attends pas aux papouilles sus mentionnées. Je fomentai donc une liste assez longue de fantasmes assez désagréables sur ce non-éclairage.
Je me suis calmée en voyant que Gabuzhom avait lui aussi des interrogations à ce propos, mais nous nous sommes tout de même dits que c'était une expérience à tenter. Lâcher prise à deux est toujours plus facile, non ?

Enfin, le côté "chez l'habitant".
La personne qui nous invitait était un copain de mon mari, membre de la même assoc', et je ne l'avais jamais vu auparavant. D'une bonne poignée de décennies plus âgé que nous, il ne fréquentant apparemment pas le même hard-discount alimentaire. En entrant dans son superbe appartement au dernier étage d'un immeuble du centre-ville, surplombant la ville de Metz, je dois avouer que j'ai regretté cinq secondes d'être une quiche au point de croix, ce qui m'aurait permis d'appliquer un joli crocodile à la poitrine de mon T-shirt H&M. Mais bon où que je sois, j'ai l'impression d'être comme une intruse arrivée par erreur dans un autre monde. Partout. Je suis trop ou pas assez chic, trop ou pas assez cultivée, trop ou pas assez citadine, trop ou pas assez bohême, altruiste, terre-à-terre, sportive (enfin, non : jamais vraiment trop, dans ce cas) ... la liste est longue. Après un bon auto-coup de pied au cul ça me passe. Je pense que je pourrais faire le bonheur de nombreux psys avec mon complexe d'infériorité ...
Cette sensation désagréable a vite été mise en sourdine par l'accueil de nos hôtes, et aussi tout simplement parce que nous avons très vite été invités à nous asseoir confortablement au salon et à enfiler des masques sur nos yeux (de ceux qu'on utilise pour dormir dans les avions). On sentait d'ailleurs au nombre de rires nerveux que tous les spectateurs étaient non pas mal à l'aise, mais en tout cas incertains de l'attitude à adopter. "Lâcher prise ? Oui, bien sûr, mais après vous, très cher !"

Une fois cette opération faite, Sylvain et Manon, les deux acteurs du Collectif Atome, ont effectué leur tour de magie.

Tout d'abord, nous avons eu une explication de ce qui allait suivre : nous étions invités à nous détendre, et à nous laisser aller par l'écoute du texte qui allait nous être lu, l'audition de divers sons d'accompagnement, et les senteurs de parfums en rapport avec l'histoire. Le tout allait durer 40 minutes environ. Le texte était L'homme qui plantait des arbres, de Jean Giono, mais nous ne l'apprendrions qu'une fois la représentation terminée.

Premier étonnement pour moi : l'ambiance, le texte, les sons n'avaient aucun lien avec le fait que nous avions les yeux bandés. Aucune surprise désagréable ne s'est présentée, et aucun jeu n'était fait avec l'état de vulnérabilité du spectateur. L'unique but du bandeau sur les yeux était de brider l'un des sens que l'on utilise le plus, et d'aborder le texte par des moyens moins familiers.

Deuxième impression : il est très difficile de se laisser aller. J'ai mis beaucoup de temps avant de me laisser glisser dans l'histoire, ce qui est de prime abord frustrant. Pourtant, les deux acteurs avaient des voix douces mais fortes, vibrantes. Elles collaient au texte parfaitement, et les silences, petit à petit, permettaient à mon cerveau bouillonnant de rattraper le texte. J'ai dû cependant passer par la case "Mais qu'est-ce que je fais ici ?", suivi de "Oh tiens on est bien, là", de "Pourvu que je ne m'endorme pas !" et de "Et si je faisais la même chose avec Gabuzette. Non elle est trop petite. A quel âge peut-on faire ça", pour passer à "Est-ce que Mamie Lélette a pensé à lui mettre sa crème ce soir ?" le tout entrecoupé de "Merde, j'ai loupé ce qu'il vient de dire, là ?". Quand cette dernière question est devenue la plus fréquente, j'ai enfin réussi à n'écouter que la pièce.

La pièce, donc.
Le texte est beau. C'est un conte philosophique, parlant d'un homme seul, navré de voir que le monde va de moins en moins bien. Il a la conviction que la cause de tout ce malheur est le manque d'arbres. Il va donc se mettre, seul et sans autorisation, planification ou soutien extérieurs, à planter des milliers d'arbres, créant ainsi, année après année, une forêt. Il fait ça en marge de la vie des hommes qui continue plus loin. Un homme isolé qui consacre sa vie au bien de tous les inconnus qui l'ignorent. Une clé du bonheur.
Pendant la lecture, quelques chansons, des sons enregistrés, et des odeurs de fleurs, d'arbres, de nourriture sont discrètement proposés.

Mon ressenti.
A la fin de la lecture, chacun prend son temps pour atterrir et ôter son masque. Les premières impressions tombent, timidement : Comment s'appelle le texte ? De qui est-il ? Qu'étaient toutes ces odeurs ? Comment se présentent-elles ? Puis les questions s'entremêlent, le voisin a reconnu telle odeur, la personne d'en face a entendu tel bruit à tel moment, l'autre a prêté attention à telles expressions.
C'est là que la notion de théâtre chez le particulier a toute son importance. Le public était très réduit (nous étions dix à douze personnes) et il était facile d'échanger ses impressions. Le fait que nous ne nous connaissions pas tous et venions d'horizons et de générations différents est très intéressant aussi : nous n'avions pas ressenti les mêmes choses et nous pouvions en parler ensemble, ainsi qu'avec les acteurs.
J'ai été amusée de comprendre que ma voisine avait eu les mêmes difficultés que moi à plonger dans le moment présent. Elle avait eu exactement les mêmes idées que moi au sujet des enfants. Deux chromosomes X, diraient certains …

De fil en aiguille, la pièce a été prétexte à une très bonne soirée, où j'ai rencontré des personnes intéressantes. Si je n'étais pas dans l'incapacité chronique de me souvenir des prénoms, je me souviendrais de celui de cette dame qui était à côté de moi et avec qui j'ai tant de points communs. Comme d'habitude, j'ai été amusée d'entendre les conversations entre personnes d'avis diamétralement opposés, comme celle entre le jeune engagé du PS et celui qui en a déjà vu et qui a le cœur définitivement à droite, et d'écouter des personnes passionnées me parler de choses auxquelles je ne connaissais rien comme la culture de la lavande ou le classement au tennis.

Du côté logistique, j'ai demandé aux acteurs comment se passait la mise en place de telles représentations. A ma grande surprise, j'ai appris que celles-ci dépendaient de la ville de Metz, dans le cadre de l'action "Culture en partage".
La mairie a retenu cinq troupes de théâtre, qu'elle rémunère en échange de dix représentations chacune, effectuées chez des particuliers messins. Chaque troupe se voit attribuer un quartier de la ville, et les particuliers proposent directement leur candidature à la mairie, ou ont été contactés directement par elle.
Voyez l'article à ce propos, publié sur le site de la ville de Metz : http://www.metz.fr/metz2/articles/2012/120426_culture_en_partage.php

J'ai aussi appris que le collectif Atome faisait des représentations chez l'habitant en dehors du parrainage de la ville, avec une rémunération "au chapeau" : les acteurs sont payés grâce aux sommes laissées dans un chapeau qui circule à la fin de la représentation.


...  une idée à retenir.

Publicité
Publicité
Commentaires
D
Vous devriez vous débarrasser des complexes que vous décrivez, car pour ce qui est de l'écriture, bravo!<br /> <br /> Nous avons eu grand plaisir à vous lire et nous avons aussi bien ri, ce qui est toujours bon. André a souhaité vous répondre, mais à la lecture de tant de talent, il m'a chargé de le faire ( l'homme se reconnaît souvent à cela: il est entreprenant, sauf quand il faut se frotter au risque... Celui de l'écriture est grand, dit-il, pour lui...)<br /> <br /> Je m'y suis donc collée, avec plaisir car je l'aurais fait sans qu'il m'y incite. Vous avez très bien dit tout ce que nous avons ressenti devant cette belle mise en scène toute en sens. <br /> <br /> Au fait, habile au point de croix ou pas, gardez vous du crocodile, votre T-shirt est magnifique!<br /> <br /> Merci pour ce moment de lecture bien agréable<br /> <br /> <br /> <br /> Do ( et André qui croit renouer avec l'écriture en co signant!!!)
P
Le pas assez ceci ou trop celà me dit kèkchoz ... <br /> <br /> <br /> <br /> En tous les cas vous vous êtes lancés et vous avez rudement bien fait ! ça avait l'air sympa ! <br /> <br /> Bravo Gabu ! not' testeuse de soirées "very special" !
C
En commençant à lire ton billet, je me suis demandée à quoi ça pouvait ressembler... Et finalement, ça me fait pas mal penser à certaines programmations radio (bon, sans affirmer pouvoir faire la comparaison, puisque je n'ai jamais assisté à ce type de représentations!)... Bref, tout ça pour dire que tu m'as mis l'eau à la bouche ! Problème : bah je ne suis pas messine... mais je vais partir aux infos du côté de chez moi !
P
Ca m'est arrivé une fois, quand j'étais jeune :-) chez un pote que j'aimais beaucoup mais que j'ai perdu de vue. J'avais vraiment adoré. On n'avait pas les yeux bandés par contre, mais c'était une pièce avec 2 acteurs très interactive. J'en garde un très bon souvenir, c'était très poétique, magique. On est un peu comme des enfants qui assistent à un spectacle chez soi... c'est finalement un plaisir un peu enfantin ce genre d'évènement.<br /> <br /> Et puis je trouve que c'est classe d'avoir un spectacle presque quasi que pour nous... nous on était même pas une dizaine... on se sent privilégié, important, presque unique :-)<br /> <br /> C'est sympa ce travail sur les sens. Je pense que tout le monde s'y retrouve, c'est une expérience aussi pour l'acteur et le metteur en scène. <br /> <br /> J'adore aussi le théâtre. Bien que j'y aille moins souvent qu'avant (manque de temps, et puis c'est cher, je n'ai plus de réduction étudiante ou assedic maintenant). Et quand la pièce ne nous plait pas, ça fait un petit peu mal au porte monnaie. J'y vais seule en général, car personne n'est intéressé autour de moi. Et je prends mon pied en solitaire hé hé, et sans honte en plus !<br /> <br /> En tout cas, ça m'a fait plaisir de lire ton post, ça m'a fait revenir ces doux souvenirs...
C
j'adore ce genre de suprise...<br /> <br /> je fais du café théatre et j'avoue que je connais le principe "chez l'habitant".
Publicité